L’ancien président de l’UEFA et ex-capitaine de l’équipe de France de football Michel Platini a été placé en garde à vue, ce mardi 18 juin, dans le cadre de l’enquête pour corruption sur l’attribution de la Coupe du monde au Qatar en 2022. L'ancien secrétaire général de l’Élysée sous la présidence Sarkozy, Claude Guéant, est quant à lui auditionné sous le statut de « suspect libre »
Déjà mis au ban des instances sportives internationales, Michel Platini est désormais rattrapé par la justice française. Selon les informations de Mediapart, l’ancien président de l’UEFA et ex-numéro 10 mythique des Bleus a été placé en garde à vue, ce mardi 18 juin, dans les locaux de l’Office anticorruption de la police judiciaire (OCLCIFF) à Nanterre (Hauts-de-Seine), dans le cadre des investigations sur l’attribution litigieuse de la Coupe du monde au Qatar en 2022.
L’ex-secrétaire général de l’Élysée, et bras droit de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant est également entendu, sous le statut de « suspect libre », dans le cadre de cette enquête préliminaire conduite depuis 2016 par le Parquet national financier (PNF), en collaboration avec les autorités judiciaires suisses et américaines, pour « corruption privée », « association de malfaiteurs », « trafic d’influence et recel de trafic d’influence ».
Les investigations ont déjà provoqué la chute de la majorité des membres du comité exécutif de la Fifa de l’époque. À Paris, le PNF cherche spécifiquement à déterminer le rôle joué par la France, et ses plus éminents représentants politiques et sportifs, dans la désignation de l’émirat du Golfe pour accueillir la prochaine Coupe du monde de football.
Ce choix, qui défie toute logique sportive (le Qatar vient de battre un record en accédant au 55e rang du classement Fifa), économique (le budget du comité d’organisation dépasse les 13 milliards d’euros, malgré quelques restrictions), éthique (les conditions de travail sur les chantiers sont dénoncées par de nombreuses ONG) ou environnementale (les stades seront climatisés pour affronter les fortes chaleurs du désert), ne manque pas de susciter des interrogations.
Il a été entériné le 2 décembre 2010 au terme d’un vote des 24 membres du comité exécutif de la Fifa, qui ont préféré le Qatar aux candidatures de l’Australie, du Japon, de la Corée du Sud, et surtout des États-Unis au dernier tour.
Dès le lendemain du vote, le Sunday Times et la BBC dénonçaient la corruption endémique qui gangrène la fédération internationale et biaise les conditions d’attribution du plus grand événement sportif de la planète.
Cette appréciation est confirmée par un chiffre : depuis le vote en faveur du Qatar, sur les 24 membres que comptait le comité exécutif (comex) de la Fifa à cette date, 16 ont été radiés, suspendus ou restent sous le coup d’une enquête (relire ici).
Quelques mois seulement après le vote d’attribution, le Qatari Mohammed Bin Hammam, ancien président de la confédération asiatique et grand manitou de la candidature de 2022, a été banni à vie des instances internationales, à cause de « violations répétées du code de l'éthique commises durant ses mandats de président de l’AFC [confédération asiatique – ndlr] et de membre du Comité exécutif entre 2008 et 2011 ».
L’enquête du PNF porte notamment sur la désormais célèbre réunion secrète à l'Élysée, révélée en 2013 par France Football et le mensuel So Foot. Le 23 novembre 2010, soit neuf jours avant le scrutin de la Fifa, et en pleine lune de miel entre la France et l’émirat qatari, Nicolas Sarkozy a convié à déjeuner Tamim ben Hamad al-Thani, prince héritier du Qatar (et actuel émir depuis 2013) et Michel Platini, alors président de l’UEFA et vice-président de la Fifa.
Selon France Football, « au cours de cette réunion, il a tour à tour été question du rachat du PSG par les Qataris (devenu effectif en juin 2011), d'une montée de leur actionnariat au sein du groupe Lagardère, de la création d'une chaîne de sport (BeIN Sports) pour concurrencer Canal+ ». Le tout aurait été convenu « en échange d'une promesse : que Platini ne donne pas sa voix aux États-Unis, comme il l'avait envisagé, mais au Qatar ».
Consultées par Le Monde en 2015, les archives officielles de l’Élysée ont confirmé l’existence du déjeuner secret, auquel auraient également participé le premier ministre qatari de l’époque Hamad ben Jassem al-Thani, le secrétaire général de l’Élysée Claude Guéant, ainsi que Sophie Dion, alors conseillère sport de Nicolas Sarkozy.
Cette dernière pilote aujourd’hui, à l’université de la Sorbonne à Paris, une chaire sur « L’éthique et la sécurité dans le sport » en partenariat avec le Centre international pour la sécurité dans le sport (ICSS), une ONG basée à Doha et financée par l’émirat qatari, dont nous avons révélé grâce aux Football Leaks les méthodes douteuses, notamment pour espionner les rivaux du Qatar dans le sport (lire notre enquête ici).
Pour l’ancien président de la Fifa Sepp Blatter, ce rendez-vous de novembre 2010 à l’Élysée a « complètement changé la donne ». « Tout allait bien jusqu’au moment où Sarkozy a tenu une réunion avec le prince héritier du Qatar, qui est aujourd’hui émir. Et au déjeuner qui a suivi avec M. Platini, il a dit que ce serait bien d’aller au Qatar », a expliqué Sepp Blatter, ajoutant que le Français aurait convaincu trois autres membres du comex de la Fifa de voter Qatar.
Longtemps proche de Platini, avant de devenir son plus virulent accusateur, l’ancien patron de la fédération internationale a ajouté en décembre 2016 : « Il faut bien dire, très amicalement, que Michel Platini, après la réunion qu’il a eue, à Paris, avec le président Nicolas Sarkozy et l’émir actuel du Qatar m’a dit : “On m’a demandé de voter pour les intérêts français, et mon groupe ne va pas voter ce qu’on avait tacitement décidé de voter au comité exécutif”. »
Six mois après le déjeuner, en juin 2011, l’émirat qatari a racheté le PSG et exporté dans l’Hexagone sa chaîne de télévision BeIN Sports, qui a mis des dizaines de millions d’euros sur la table pour rafler une partie des droits du foot à Canal+. Michel Platini a aussi rapidement reconnu avoir voté pour le Qatar. Il a enfin admis qu'il « pourrait avoir dit » aux Américains qu'il voterait pour eux, avant de se raviser.
Mais l’ancien numéro 10 des Bleus nie en bloc les accusations de Blatter, dont il considère qu’il s’agit d’une vengeance destinée à l’empêcher de devenir président de la Fifa. Platini assure que Nicolas Sarkozy ne lui a rien demandé lors du déjeuner de l’Élysée au sujet du Mondial, même s’il a « senti qu’il y avait un message subliminal ».
Il a en revanche confirmé qu’il était à l’époque opposé à un rachat du PSG par l’émirat qatari, et que Nicolas Sarkozy a tenté de le convaincre du contraire. « Il m’a dit que les Qataris étaient des gens bien », a expliqué Platini à So Foot.
Autre élément embarrassant : un an après le déjeuner, son fils Laurent Platini a été embauché par l’équipementier sportif qatari Burrda Sport, filiale du fonds souverain QSI, qui possède également le PSG et BeIN. Le fils de Michel Platini a assuré que son père n’a joué aucun rôle dans son embauche puis sa promotion comme directeur général de Burrda – qu’il a quitté en 2016 pour rejoindre le groupe Lagardère.
Michel Platini s’est par ailleurs montré fort complaisant avec le Qatar lorsqu’il présidait l’UEFA, comme nous l’avons révélé grâce aux Football Leaks en novembre 2018. Créateur de la règle du fair-play financier, qui devait empêcher les clubs de vivre au-dessus de leurs moyens, il a couvert la fraude massive du PSG, qui a bénéficié de 1,8 milliard d’euros de subventions déguisées via des contrats surévalués de sponsors qataris.
Lorsque l’UEFA a ouvert une enquête, le patron du PSG, Nasser al-Khelaïfi, s’est montré menaçant au cours d’une réunion secrète avec Michel Platini, en lui lançant qu’il n’avait pas intérêt à s’attaquer au Qatar à travers le PSG. Était-ce une allusion au déjeuner de l’Élysée ? Aucun des deux protagonistes n’avait souhaité nous répondre à l’époque. Mais le PSG a finalement été blanchi par le biais d’un accord amiable très favorable, négocié par le bras droit de Platini en court-circuitant les enquêteurs indépendants chargés du dossier à l’UEFA.
Un autre élément fragilise la position du Français : le versement de 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) effectué à son profit, le 1er février 2011, par la Fifa. Ce paiement, au sujet duquel la justice suisse et la Fifa ont ouvert des enquêtes en 2015, l'a contraint à démissionner de l'UEFA en mai 2016 et l'a empêché de briguer la présidence de la Fifa.
Selon Platini, cet argent correspond à sa rémunération lorsqu’il était conseiller technique de Sepp Blatter à la Fifa, entre 1998 et 2002. Platini affirme qu’en plus de son contrat écrit, il avait passé un « accord oral » avec Blatter lui attribuant un complément de salaire.
Pour se faire payer, le dirigeant a présenté une facture à Markus Kattner, directeur financier et secrétaire général adjoint de la Fifa, le 17 janvier 2011, soit une décennie après ses missions de conseil…
Sur le plan pénal, l’ancien numéro 10 des Bleus a été blanchi, en mai 2018, par la justice helvète. En revanche, Michel Platini a été suspendu de toute fonction liée au football par le comité d’éthique de la Fifa, suspension confirmée à quatre ans par le Tribunal arbitral du sport (TAS) en mai 2016.
Pour justifier le délai de dix ans entre ses missions et leur paiement, Michel Platini a expliqué au TAS s’être manifesté après avoir constaté que la situation financière de la Fifa s’était « nettement améliorée » et après avoir appris que « certains dirigeants de la Fifa avaient reçu [en 2010] des rémunérations extraordinaires s’élevant à plusieurs millions de francs ».
Le paiement de la Fifa a été effectué avec une légèreté hors du commun, a relevé le TAS : Sepp Blatter l’a validé malgré la méprise de Michel Platini, au début de la procédure de recouvrement, qui a minoré de 800 000 de francs suisses le solde de rémunération à cause d’une erreur de calcul. De même, il n’existe pas de « preuve fiable » (dixit le TAS) du fait que le versement ait été soumis au contrôle de la commission des finances de la fédération internationale.
Le timing de ce versement de la Fifa, deux mois après l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, interpelle également. Surtout depuis que, le 10 mars 2019, le Sunday Times a révélé l'existence d'un contrat secret passé entre l’institution de Blatter et la chaîne de télévision Al Jazeera, propriété du Qatar.
Cet accord confidentiel, signé par Sepp Blatter et par le patron du PSG Nasser al-Khelaïfi, alors dirigeant de la chaîne qatarie, prévoit qu’Al Jazeera achète les droits télé des futures coupes du monde pour 300 millions de dollars… plus un bonus de 100 millions de dollars payable uniquement si le Qatar obtient le Mondial 2022 !
Le procédé ressemble comme deux gouttes d’eau à la clause introduite par une autre société qatarie, Oryx QSI, dont Nasser al-Khelaïfi a été actionnaire avec son frère, pour l’obtention des droits télévisés des championnats du monde d’athlétisme, que Doha va organiser en septembre 2019 (lire notre enquête ici). Le juge financier Renaud Van Ruymbeke, chargé de l’enquête judiciaire sur ce contrat, a mis en examen Nasser al-Khelaïfi pour corruption en mai.
La « prime de victoire » de 100 millions offerte par le Qatar en cas d’attribution du Mondial 2022, contraire aux statuts de la Fifa (les offres économiques sont interdites lors du processus de sélection), déplace pour la première fois, au-delà des membres du comex, les soupçons de corruption sur la Fifa en tant qu’institution et sur son président Blatter. D’autant que selon une enquête du Monde, Blatter, qui répète depuis 2015 que Platini serait le seul responsable de la victoire du Qatar, aurait lui aussi voté pour l’émirat.
Michel Platini a reçu son « paiement différé » de 1,8 million d’euros en février 2011, deux mois seulement après la victoire du Qatar et le paiement de la prime de 100 millions à la Fifa. S’agit-il d’une simple coïncidence, ou y aurait-il un lien entre ce versement et le vote de Platini pour le Qatar ?
Début juin, l’ancien meneur de jeu de l’équipe de France a lancé sa contre-offensive en annonçant publiquement une rafale de plaintes et de requêtes en Suisse et en France. « J'attaque tous ceux qui ont fomenté un complot pour que je ne sois pas président de la Fifa », a-t-il justifié.
Une plainte vise notamment à déterminer les conditions dans lesquelles le ministère public de la Confédération helvétique (MPC) a eu connaissance du fameux paiement de deux millions de francs suisses, Platini soupçonnant Blatter d’être à la manœuvre. Interrogé par Yahoo Sports, l’ancien président de la Fifa a balayé cette accusation récurrente : « Je ne suis pas assez fou pour me tirer une balle dans le pied. »